En Haute-Garonne, depuis le mois de juin, Alain Zahnd, boulanger, et Grégory Ségur, agriculteur-minotier,
travaillent ensemble. Eux qui ont en commun l’amour du ballon ovale poussent dans le même sens : la
valorisation des circuits courts. Et bénéficient, chacun de leur côté, de cet essai transformé.
Au rugby, on appelle ça un alignement parfait. Alain Zahnd, boulanger à Montastruc-la-Conseillère (Haute –
Garonne) et Grégory Ségur, agriculteur-minotier dans le village voisin de Roquesérière, se sont d’ailleurs
connus sur le bord des terrains. Grégory sourit à l’évocation de ce souvenir et raconte : « On habite la même
commune avec Alain, j’entraîne ses enfants au rugby. Alors après avoir racheté le moulin pour mieux
valoriser mes céréales en 2020, je suis allé le voir et je lui ai proposé ma farine moulue sur pierre. »
Le boulanger en plaisante : « Ah ça, il a été cash ! Il m’a demandé combien je passais de farine par an et si
ça m’intéressait. Il faut dire aussi que ma femme, Nathalie, est à fond sur les circuits courts. Moi jusque-là,
je freinais un peu. J’avais eu une mauvaise expérience avec un minotier local il y a quelques années. Mais
là j’ai dit banco, parce que Greg, on le connaît. »
Une collaboration gagnant-gagnant : la boulangerie a enrichi sa gamme et le meunier, fort de cette réussite,
pourrait entamer bientôt un travail similaire avec un autre boulanger dont la boutique se trouve à une
quinzaine de kilomètres.
Quant au rugby, il est partout ! Grégory Ségur, qui a longtemps joué en Fédérale 1 après un court passage
par le Top 16 et la Pro D2, a dénommé sa minoterie le Moulin d’Ovalie ; à la boulangerie Arti’Zahnd, les
pains produits avec ses farines ont été dénommés la Chistera, le Drop et la Mêlée.
Un an et demi de travail
Mais avant d’en arriver là, il a fallu relever ensemble quelques challenges. Le minotier reprend : « J’ai
toujours dit qu’il fallait prendre le temps d’être sûrs avant de sortir quelque chose. Parce que monsieur
Zahnd a une clientèle et que moi je ne voulais pas me manquer. » Il aura donc fallu près d’un an et demi
pour produire la totalité de la gamme avec les farines locales : du pain complet avec de la T130, du pain
de campagne avec de la T80 et le semi-complet avec la T65. « J’ai fait plusieurs sortes d’ouvrages,
se souvient Alain Zahnd. J’ai essayé un travail intensif, en pétrissant plus vite et plus longtemps : ça ne
marche pas, ça donne une mie sèche et qui vieillit mal. Alors j’ai diminué mon temps de pétrissage et je vais
moins vite. Le pain est moins clair, il se conserve un peu mieux et ça assure une qualité de mie plus souple.
On arrive aussi à obtenir une croûte sympa, différente de celle de la Tradition. »
En six mois, la consommation de farine du Moulin d’Ovalie a plus que doublé chez Arti’Zahnd
Au fil du temps, la confiance entre les deux professionnels s’est renforcée. « Il y a deux ans, une partie de
mes grains a germé sur pieds, témoigne le céréalier. Donc la farine n’avait pas bien réagi. J’ai été clair
avec Alain. Il faut que le lien soit direct, qu’il puisse expliquer à ses clients ce qu’il se passe. »
Depuis juin dernier et le lancement de la gamme de pains fabriqués à partir des farines du Moulin d’Ovalie,
Alain et Grégory se soutiennent mutuellement. Grégory vend le pain de Montastruc lors de marchés de
producteurs dans sa ferme et la boulangerie propose à la vente des sacs de farine de Roquesérière. « Cela fait
connaître la production de Grégory et ça nous permet de dire à nos clients que nous fabriquons certains de
nos pains avec », se félicite Alain Zahnd. Certains ont d’ailleurs été conquis : en six mois, la consommation
de farine du Moulin d’Ovalie a plus que doublé chez Arti’Zahnd, pour s’établir à entre 7 et 10 kg par jour.
“Avec cette farine, je m’amuse”
Une évolution qui ravit l’artisan : « Avec cette farine, je m’amuse, je retrouve la base de mon métier. »
Il pousse : « C’est la découverte tous le jours. On ne peut pas dire “Il faut tant d’eau, tant de farine…” donc
c’est plus intéressant. C’est notre profession de travailler avec le vivant. Avec Moulins Soufflet c’est
toujours un peu pareil et j’avais l’impression d’avoir perdu une partie du sel du métier. »
Du haut de ses 60 ans, dont quarante-cinq passés en boulangerie, il analyse : « J’ai vu plusieurs façons de faire.
Mon père, qui était boulanger, travaillait en direct. Puis, il a acheté une diviseuse et une chambre froide. [L’ouvrage
s’est mécanisé], ça l’a rendu plus facile. Mais on a perdu notre identité. Surtout que, dans le même temps, les grands
minotiers ont fait en sorte que les farines soient les plus stables possibles. Le truc c’est que vous retrouviez les mêmes
pains partout. Là, Greg a sa farine, l’agriculteur plus loin aura la sienne… »
Alors bien sûr, cette farine à la personnalité affûtée « bouge tout le temps. » « Il ne faut pas hésiter à se remettre en
question sans arrêt. Des fois, on ne sait pas ce qui se passe, on cherche, on discute avec les employés… » Désormais le
boulanger plonge dans le sac de farine : « Moi, ce qu’on m’a appris, c’est de toucher la farine et de voir si elle n’a pas
de grain, si elle va bien, pas plus. L’amidon, le gluten, tout ça, je ne connaissais pas. Maintenant, je me penche
davantage sur la question. »
Pour continuer à apprendre, il cherche une formation sur le levain. Là encore, « si cela apporte vraiment quelque
chose, je le mettrai en place, même si ça demande plus de temps de travail ».
Repères Arti’zahnd
Espace de vente : 37,5 m2
Taille de l’équipe : 5 personnes à la vente (dont Nathalie Zahnd et 1 apprentie), 2 en pâtisserie, 3 en
boulangerie (Alain Zahnd, 1 intérimaire et 1 apprentie)
Panier moyen : 4,5 € avant le Covid
Chiffre d’affaires : 700 000 € annuels.
À la conquête des clients
En dépit de l’arrivée de pains à base de farines locales, « beaucoup de clients restent quand même à la
tradition. Ce n’est pas simple de les faire basculer sur de la mie grise », semble regretter Alain Zahnd. Ici,
les Moulins Soufflet livre toujours 80 % de la farine. « C’était le fournisseur quand j’ai repris l’affaire il y a
sept ans, et je n’ai pas voulu révolutionner les choses », explique le boulanger. Révolutionner non, mais
faire évoluer en douceur les mentalités, sans aucun doute : « Je le ferai au rythme des clients, tout en mettant
en avant les pains fabriqués avec la farine de Greg. »
Article issu du site de La Toque Magazine écrit par Christophe Zoia : Arti’Zahnd et le Moulin d’Ovalie : du rugby, de la farine et du pain